Balle dans l'eau | Gabriel Orozco | Guggenheim Bilbao Museoa
Exposition passée

Images en mouvement. Photographie et vidéo contemporaines de la Collection des Musées Guggenheim.

08.10.2003 - 16.05.2004

L'exposition Images en mouvement réunit près de 150 œuvres de 55 artistes contemporains qui utilisent la photographie, le cinéma et la vidéo comme support et moyen d'expression de leur créativité.

L'exposition, centrée sur l'usage extensif de moyens reproductibles qui peut être observé dans l'art de la dernière décennie, part de la proposition selon laquelle les antécédents de ce phénomène remonteraient à l'art de la fin des années 60 et des années 70, une période au cours de laquelle les artistes ont incorporé la photographie et l'image en mouvement à une pratique fondamentalement conceptuelle.


L'exposition réunit des œuvres d'artistes contemporains renommés, tels que Christian Boltanski, Rineke Dijkstra, Stan Douglas, Olafur Eliasson, Fischli/Weiss, Anna Gaskell, Andreas Gursky, Pierre Huyghe, William Kentridge, Iñigo Manglano-Ovalle, Gabriel Orozco, Cindy Sherman, Thomas Struth, Sam Taylor-Wood, Wolfgang Tillmans et Kara Walker, ainsi que des créations de quelques pionniers de ces pratiques comme Marina Abramovic.

Au cours des trois dernières décennies, les artistes ont adopté la photographie, le cinéma et la vidéo comme outils pour articuler leurs pratiques conceptuelles. Que ce soit pour enregistrer des performances ou des actes éphémères ou pour essayer de construire de nouvelles réalités, ces artistes ont mis en œuvre des moyens reproductibles comme principales formes d'art. Évitant l'impulsion première du geste documentaire, ils ont tous manipulé leurs représentations du monde empirique ou inventé une cosmologie entièrement neuve. Certains artistes ont choisi d'intervenir directement sur l'environnement en modifiant de façon subtile les composantes du monde existant pour faire état de leur présence en son sein, alors que d'autres ont préféré fabriquer des environnements fictifs pour qu'il soit capturé par la lentille d'une caméra. Cette exposition, qui se nourrit des fonds de la Collection Permanente des Musées Guggenheim, veut être une réflexion sur la présence de ce type de pratiques dans l'art des dix dernières années.

L’exposition Images en mouvement se nourrit essentiellement d’œuvres appartenant à la Collection Permanente des Musées Guggenheim pour se centrer sur la diversité des perspectives qu’adoptent les artistes actuels au moment de faire usage du cinéma, de la vidéo et de la photographie.

La présence généralisée des moyens de reproduction dans l’art contemporain relève d’une histoire à la fois brève et complexe qui remonte aux années soixante et soixante-dix, à un moment où la culture visuelle connaît un changement de paradigme. En d’autres termes, la photographie et l’image en mouvement cessent d’être de purs objets de divertissement ou de documentation pour se transformer en instruments à caractère artistique ouvertement critiques. Ces moyens sont notamment mis en œuvre pour enregistrer les performances et autres manifestations de ce type, pour représenter des systèmes conceptuels ou pour remettre en question l’objectivité prétendue de la représentation elle-même.

La présence de la photographie, du cinéma et de la vidéo dans les pratiques artistiques les plus radicales des années soixante-dix est tributaire de leur présence généralisée dans toutes les formes de représentation quotidiennes : la télévision, la publicité, le cinéma et le photo-journalisme. Les artistes font appel à ces instruments pour remettre en question l’œuvre d’art unique et pour lancer un défi aux catégories esthétiques traditionnelles. À la fin de cette décennie, nombreux sont les artistes pour qui l’outil photographique sert à bouleverser la représentation photographique en elle-même et à subvertir le système artistique basé sur la notion d’un original unique. Ces pratiques vont définir en bonne partie l’art post-moderne des années quatre-vingt dont l’empreinte, au cours de la décennie suivante, se traduit essentiellement par la liberté de jouir de la fantaisie photographique, de la construction d’images et de la narration cinématographique. Les artistes actuels manipulent librement leurs représentations du monde empirique ou inventent des cosmologies entièrement neuves. Ils abordent leurs sujets par le biais de systèmes conceptuels ou emploient des techniques numériques pour retoucher leurs images. Certains interviennent directement sur l’environnement en altérant subtilement le monde qui les entoure tandis que d’autres bâtissent des cadres architecturaux pour l’objectif de leur caméra.

Images en mouvement s’organise en catégories thématiques afin de proposer au spectateur divers modes d’appréhender et de distinguer les différentes sensibilités qui donnent corps aux formes artistiques les plus contemporaines. Comme cela est le cas avec la plupart des manifestations collectives, les catégories tendent à être subjectives et à refléter, plus que l’intention de chaque artiste, le point de vue de la personne qui conçoit l’exposition. Bien que certaines œuvres puissent entrer dans plusieurs catégories, la manifestation a été structurée en quelques sections : « L’œil empirique », « La performance et le corps », « Histoire, mémoire et identité », « L’image construite » et
« La Fantaisie narrative ».

L’œil empirique
Une grande partie de la photographie conceptuelle des années soixante-dix veut émuler la photographie documentaire dans sa tentative de détourner l’attention du terrain esthétique vers le caractère dépersonnalisé des systèmes d’information. Héritiers de ce concept, les artistes actuels manipulent librement leurs représentations du monde empirique. Olafur Eliasson, Elger Esser et Rika Noguchi abordent leurs sujets (souvent le paysage naturel) à travers des dispositifs conceptuels pré-établis. Au-delà de l’observation de la nature, des artistes tels qu’Andreas Gursky, Candida Höfer et Thomas Struth ont tourné leur regard vers la documentation du fait urbain et son rapport inextricable avec l’espace public et privé. Ces créateurs se centrent sur la plastique de l’architecture d’entreprise, sur la construction de complexes résidentiels, la notion de tourisme international ou le paysage industriel. Gursky et Jörge Sasse utilisent des techniques numériques pour jouer avec leurs images d’espaces quotidiens tels que supermarchés ou zones industrielles. D’autres, comme Gabriel Orozco et Thomas Flechtner, interviennent directement sur l’environnement en en modifiant subtilement les composantes. Dans une récente installation de vidéo, Francis Alÿs révèle comment, sous sa direction, au Pérou, des centaines de volontaires réussissent à déplacer une montagne.

Dans l’histoire de la photographie, le portait occupe une place d’honneur, que ce soit pour représenter le moi ou pour documenter les autres. De nombreux artistes contemporains comme Nan Goldin, Catherine Opie et Wolfgang Tillmans reprennent les conventions du portrait pour enregistrer leurs propres communautés particulières et donner forme visuelle à des sous-cultures souvent ignorées de la culture dominante. D’autres s’appuient sur la tradition du portrait typologique et sélectionnent leurs modèles selon leur métier ou leur situation, comme par exemple Rineke Dijkstra dans sa série de baigneurs captés sur les plages du monde entier. Quant à Thomas Ruff, il adopte une des formes les plus stéréotypées du portrait — la photo de carte d’identité ou de passeport — pour construire des images monumentales de visages humains. Dans le domaine de la vidéo, Douglas Gordon explore la représentation cinématographique des vedettes à travers la manipulation de fragments de longs-métrages d’Hollywood.

La performance et le corps
Nombreux sont les artistes actifs au début des années-soixante-dix qui se sont servi de leur corps comme sujet de leur œuvre et comme moyen d’expression. Renonçant à la hiérarchie traditionnelle des médiums artistiques—peinture, dessin et sculpture— et au marché de l’art qui fait commerce d’objets tangibles, les artistes se lancent dans la performance, séduits par le caractère subversif de cette pratique. Pour les artistes féministes, l’art qui utilise le corps offre un moyen de braver les canons traditionnels et de mettre en évidence leur propre subjectivité. Pour d’autres, la performance ou le body art (art corporel), nom sous lequel cette pratique est connue, est devenu une modalité d’exploration de la perception, de la temporalité, du processus et du comportement, soit les principes fondamentaux des post-minimalistes des années soixante-dix. Les instruments les mieux adaptés pour montrer et documenter la caractère éphémère de la performance sont alors la photographie, le cinéma et la vidéo, qui peuvent capter l’artiste en action tout en préservant son image indéfiniment.

Les performances d’aujourd’hui, comme celles exécutées par Patty Chang, se centrent sur le corps et les questions qui lui sont liées, comme la résistance, la sexualité et les différences de genre. Sous l’impact de l’épidémie de SIDA et de la violence croissante du monde, quelques performances actuelles sont expressément élégiaques, comme en témoigne l’œuvre récente de la pionnière de cette pratique qu’est Marina Abramovi´c. D’autres exemples de performances, comme les vidéos d’Ann Hamilton de fragments du corps représentés à une échelle intime, explorent les aspects sensoriels de l’expérience corporelle.

Histoire, mémoire et identité

Au cours des années quatre-vingt-dix, les artistes commencent à explorer de quelle façon la représentation traditionnelle a abordé le concept de « différent », « autre », en termes d’orientation sexuelle, d’identité raciale et ethnique, en ouvrant ainsi un nouveau champ de conscience culturel. Cet énorme domaine d’investigation se fait écho de ceux qui pâtissent de la répression du système dominant, de ceux dont les droits sont niés et dont la subjectivité est menacée par l’intolérance, l’homophobie et l’intransigeance sociale. Historiquement, les dispositifs hégémoniques s’appuient sur l’identification d’une force contraire, d’un « autre » culturel —fréquemment logé à l’intérieur du propre dispositif— qui sert de repoussoir pour que le système puisse se structurer et préserver sa cohésion et son pouvoir.

L’« autre » culturel adopte des formes variées : En Afrique du Sud sous l’apartheid, l’autre était le Noir ; dans les sociétés démocratiques occidentales, c’est souvent l’homosexuel. En parallèle à la globalisation croissante de la culture, cette recherche sur « l’autre » a entraîné l’apparition d’une nouvelle conscience dans le monde, celle de la multiplicité des voix et des histoires.

De nombreux artistes ont consacré leur œuvre à la compréhension des systèmes de représentation qui construisent l’identité et l’histoire de leur culture : citons notamment les films d’animation pleins de poésie de William Kentridge sur les ravages de l’apartheid ou les photos abstraites et les vidéos de Michal Rovner sur les pays du Moyen-Orient et leurs problématiques frontières. Tandis que Glenn Ligon se centre sur la construction du « Noir » et de « l’homosexuel » dans sa réflexion photographique sur les images érotiques de Robert Mapplethorpe, Íñigo Manglano-Ovalle explore la notion d’identité à travers ses photos de cartes génétiques d’ADN. Dans sa série d’énigmatiques annonces de télévision, Stan Douglas examine comment les médias classifient selon des critères d’homogénéité la composition de leurs audiences. Et Kara Walker, en combinant des silhouettes et des images projetées pour explorer les stéréotypes raciaux, pose son regard sur l’histoire de l’esclavage aux États-Unis.

L’image construite

De l’album familial au photo-journalisme, la photographie a été tenue comme un reflet de la réalité objective. Toutefois la capacité de la photographie pour enregistrer de la fiction constitue aussi une composante essentielle de son histoire. Tandis que certains artistes utilisent la photographie, le cinéma et la vidéo pour « documenter » des histoires fantastiques éloignées de la réalité, d’autres font appel à ces mêmes moyens pour enregistrer aussi diverses fausses vérités, liées cependant à des réalités.

La plupart, sous l’effet d’une pulsion architecturale, construisent des environnements à différentes échelles dans le seul but de les photographier. James Casebere bâtit des maquettes de maisons et de villes miniatures depuis la fin des années soixante-dix afin de récréer d’anonymes foyers destinés à l’objectif de son appareil. Ses photographies récentes montrent l’étrange ambiance intérieure de certaines institutions, comme les asiles psychiatriques, les prisons, etc., également miniaturisés. De façon similaire, Oliver Boberg construit des structures industrielles à petite échelle pour ses prises de vue. Quant à Thomas Demand, il tire son inspiration de la presse et crée des milieux à échelle réelle reproduisant des lieux banals où se sont produits des évènements transcendantaux, comme la chambre universitaire de Bill Gates. Demand, en photographiant ces lieux, en donne une représentation de façon à la fois entièrement réaliste et mystérieuse de par sa fuyante signification. Miles Coolidge ne construit pas de scènes mais photographie des lieux « factices » , comme Safetyville, une ville miniature du Nord de la Californie où les enfants apprennent les règles de la circulation à pied.

La fantaisie narrative

Après des décennies d’art centré sur le concept et oeuvrant en général à une remise en question des règles et des conventions sur l’usage de la photographie, au cours des années quatre-vingt-dix est apparue une génération d’artistes incorporant à leur œuvre la fantaisie pure. Raconter une histoire, ou la structure narrative en tant que telle, est pour ces créateurs un mode d’expression en soi qui leur fournit une matière première nouvelle leur permettant de constituer leur iconographie photographique et cinématographique particulière. L’œuvre finale est une scène ou un environnement que l’artiste invente pour son appareil. Au cours des années soixante-dix, une grande partie de la photographie conceptuelle a parodié l’idylle existante entre la photographie artistique et le reportage photographique dans ses prétentions de véracité et d’imitation du photo-journalisme. Il s’agissait d’obtenir ainsi ce qui a été décrit comme « la perspective du réalisateur », autrement dit, de concevoir des mises en scène uniquement pour les photographier. Des artistes comme Cindy Sherman et Laurie Simmons ont recouru à cette stratégie bien que certaines de leurs œuvres préparées fassent davantage référence à certains lieux communs de la cinématographie au lieu de les documenter. De nos jours, les artistes inventent librement leurs cosmologies à partir d’éléments tirés de sources extrêmement variées allant des autels Renaissance aux jeux vidéo ; dans leurs photographies, leurs films et leurs vidéos, Matthew Barney*, Gregory Crewdson, Anna Gaskell, Pierre Huyghe, Mariko Mori, Pipilotti Rist et Sam Taylor-Wood créent leur propre univers imaginaire.

* Le cycle Cremaster complet de Matthew Barney fut projeté en complément de l’exposition dans l’Auditorium du Musée et dans la salle 103B.

 

Gabriel Orozco
Balle dans l'eau (Pelota en agua), 1994
Cibachrome
É.A. 1/1, édition de 5 Image : 31,8 x 47,6 cm ; impression : 40,6 x 50,8 cm
Solomon R. Guggenheim Museum, New York, acquise avec des fonds apportés par le Comité de Photographie 98.4632.
© Gabriel Orozco

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