L’avant-garde face au passé
Nous devons comprendre le présent pour être témoins du début d'un nouveau cycle de classicisme essentiel. Ce nouveau cycle vient de commencer. L'ère du Romantisme a pratiquement épuisé ses significations1.
Après les effroyables destructions causées par la Première Guerre Mondiale (1914—18), de nombreux artistes s'éloignent de l'abstraction pour retrouver la figuration, la limpidité des lignes et le modelé des formes. En France, les fondateurs du Purisme, Amédée Ozenfant (1886—1966) et Charles-Edouard Jeanneret (plus connu sous son pseudonyme, Le Corbusier) (1887—1965) publient un manifeste intitulé Après le Cubisme (1918), dans lequel ils rejettent le travail de leurs prédécesseurs cubistes qu'ils voient comme un «ornement obsolète". Ozenfant et Jeanneret pensent que l'art doit être « précis" et être «en consonance avec la science et l'industrie qui ont envahi la vie moderne"2. Sans le savoir, ils viennent de prendre «le chemin de l'oubli volontaire adopté par la culture d'après la guerre au lieu du souvenir, chemin dans lequel la "sublimation" et l'évitement d'une franche confrontation avec les faits désagréables ont déterminé de nouvelles formes artistiques plus inclinées vers la transcendance»3. Soucieux d'ordre et de clarté, ce nouveau style qu'ils créent après la guerre, le Purisme, incorpore de nombreuses références à l'Antiquité. De façon générale, les termes «équilibre, sérénité, harmonie, pureté, clarté et idéal»4 , ainsi que «mesure» et «ordre», jalonnent la rhétorique du classicisme.
En Espagne également surgissent des tendances esthétiques avides de formes essentielles et éternelles5. De même que les mouvements qui condamnent le passé le plus récent en France et en Italie, la restauration classique, dans sa quête d'un ordre qu'elle croit perdu, défend un art formel.
Malgré ses expérimentations avec l'espace dans des œuvres fortement marquées par l'avant-garde, Pablo Gargallo (1881—1934) a joué un rôle prépondérant dans ce retour au classicisme qui s'opère en Espagne. Son œuvre Les Porteuses d'eau (Aguadoras, 1925) montrent deux femmes nues portant des jarres d'eau sur la hanche et la tête. Solides, idéalisées et harmonieuses, les figures représentent deux moments et deux états distincts du corps féminin. En dépit de la dureté de leur travail, les femmes semblent paisibles et à l'aise6.
Citations
1 Eugeni d'Ors. Glosari 1906—1907. Barcelona : Quaderns Crema, 1996, p. 172.
2 Suzanne Muchnic. With the Purist Intentions: After Cubism, two artists sought a pared-down aesthetic. LACMA revists the overlooked period. In : Los Angeles Times, 22 avril 2001. http://articles.latimes.com/2001/apr/22/entertainment/ca-54343 (dernier accès : 11 janvier 2011).
3 Kenneth E. Silver. Un yo más perdurable. In: Silver, Caos y clasicismo: arte en Francia, Italia, Alemania y España, 1918—1936, cat. expo. Bilbao: Musée Guggenheim Bilbao ; New York: Solomon R. Guggenheim Foundation, 2010, p. 19.
4 Amédée Ozenfant et Charles-Edouard Jeanneret. Après le cubisme. París: Éditions des commentaires, 1918, pp. 11-12. Cité dans Silver. Un yo más perdurable. Op. cit., p. 20.
5 Juan José Lahuerta. Decir anti es decir pro. In: Eugenio Carmona y Juan José Lahuerta. Éd. Arte moderno y revistas españolas, 1898—1936, cat. expo. Madrid: Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía ; Bilbao: Museo de Bellas Artes, 1997, p. 23.
6 Pablo Gargallo, Aguadoras. Ville de Zaragoza: Musée Pablo Gargallo. http://www.zaragoza.es (dernier accès : 11 janvier 2011).
Preguntas
Montrez à vos élèves Les porteuses d’eau (Aguadoras), 1925
- Demandez à vos élèves d’observer l’œuvre. Quelles formes, matériaux, couleurs et textures peuvent-ils distinguer?
- Dans cette sculpture il y a deux figures. En quoi se ressemblent-elles? En quoi se distinguent-elles? Demandez à vos élèves de décrire les deux figures et la relation entre elles.
- Réfléchissez sur la pose adoptée par les deux femmes. Comment vos élèves décriraient-ils leur posture? Ils peuvent essayer de tenir deux ou trois gros paquets pour imiter la pose des figures et décrire comment elles se sentent.
- Dans ses sculptures, Gargallo a utilisé différents matériaux, tels que l’argile, le plâtre, le marbre, l’albâtre, les plaques de cuivre, le fer et le plomb. Cette sculpture est en bronze. Parlez avec vos élèves du choix de ce matériau. A leur avis, qu’apporte-t-il à l’œuvre? Lequel auraient-ils choisi pour réaliser une sculpture comme celle-ci? Pourquoi? Pensent-ils que la sculpture serait différente si l’artiste avait utilisé un autre matériau? Pourquoi?
- Gargallo est resté fidèle à deux styles en même temps: d’un côté une démarche classique proche du Modernisme et du Noucentisme catalans et, de l’autre, un style basé sur l’expérimentation avec l’abstraction. Demandez à vos élèves à quel style appartient cette œuvre et de justifier leur réponse.