ENSEMBLE, MAIS ISOLÉS

« Je crois qu’à partir du moment où apparaissent plusieurs personnages, tu entres automatiquement dans l’aspect narratif des relations entre eux. Ceci crée immédiatement une espèce d’histoire. Je garde toujours l’espoir de parvenir à faire un tableau avec un grand nombre de personnages sans une histoire ».

Francis Bacon*

Dans cette salle nous pouvons contempler Portrait d’un nain (1975), une œuvre peu habituelle dans la production de Bacon. En éliminant les deux tiers de la toile originale, l’artiste isole ce personnage, qui, comme un voyeur, contemple une autre scène détachée de l’image originale. Bacon a transformé cette seconde scène en une autre œuvre, dans laquelle apparaît le propre peintre avec son amant, George Dyer, qui venait de décéder. Il se peut que le peintre ait mutilé la toile initiale, dans laquelle l’homme contemple le couple, pour éliminer son caractère narratif. Dans la figure qui règne solitaire sur ce tableau est évidente la référence à l’œuvre de Vélasquez.

Par ailleurs, nous pouvons contempler ici le portrait de Sebastián de Morra par Vélasquez, un personnage qu’il présente également dépouillé de tout contexte et dont la riche tenue évoque sa position au sein de la maison d’Autriche. Il côtoie La Bomba (1863) de John Phillip, un peintre écossais parti vivre dans le Sud de l’Espagne pour des raisons de santé au milieu du XIXe siècle. Profondément marqué par son séjour, il a été surnommé “Spanish Phillip” en raison de l’influence de maîtres comme Vélasquez ou Murillo sur son œuvre. La Bomba, dont le titre fait allusion au local où se déroule une scène de genre, peut-être située à Grenade, est présenté à Londres, où il connaît un grand succès et va inspirer de nombreux artistes britanniques de l’époque. Les personnages de cette toile sont pris dans une interaction cordiale, à la différence des figures de Bacon qui semblent uniquement vouées à lutter entre elle ou à avoir des relations sexuelles, comme par exemple dans le grand triptyque qui occupe le centre de cette salle, Trois études de personnages couchés sur un lit (1972).

Les trois panneaux du triptyque présentent, sur un fond commun, une même scène, dont les éléments ont subi quelques légères variations dans chaque cas. Ce format en trois parties, auquel Bacon a eu recours à 33 occasions tout au long de trois décennies, permet à l’artiste de montrer des images volontairement fragmentées, disposées dans des cadres séparés. Outre son recours au triptyque, Bacon introduisit ce concept de la composition en trois scènes dans des tableaux constitués d’une seule toile, comme Études du corps humain (1975).

* David Sylvester, The Brutality of Fact: Interviews with Francis Bacon 1962-1979, Interview 2- 56:57