Peinture de champs de couleur
20.06.2006 - 11.03.2007
En 1961, le Solomon R. Guggenheim Museum présentait une exposition intitulée American Abstract Expressionists and Imagists (Expressionnistes abstraits et imagistes américains), une analyse des tendances artistiques du moment. L'exposition mettait en évidence la diversité existant au sein de l'École de New York, qui allait au-delà des toiles gestuelles de la peinture d'action. Elle fut suivie de nombreuses autres expositions, parmi lesquelles les plus significatives furent celle organisée sous le commissariat de Clement Greenberg en 1964 au Los Angeles County Museum of Art, intitulée Post-Painterly Abstraction (Abstraction post-picturale) et celle de Lawrence Alloway en 1966 au Guggenheim de New York, Systemic Painting (Peinture systémique).
Les sept artistes présentés dans cette salle se trouvent parmi ceux qui participèrent à ces présentations et qui travaillaient contre le noyau de l'Expressionnisme Abstrait à la fin des années cinquante, ouvrant de nouvelles voies à l'abstraction à un moment où le Pop Art américain dominait la scène artistique.
L'exposition de Greenberg en 1964 incluait 31 artistes aux traits stylistiques communs. En mettant en relief la « clarté et l'expansion » des œuvres et sa préférence pour les couleurs lumineuses, Greenberg utilisa des définitions larges pour unir des tendances qui, souvent, n'avaient même pas de nom. Les artistes qui appliquaient des pigments sur de grandes zones de toile, la couvrant même dans sa totalité, étaient parfois appelés « peintres de champs de couleur ». Leurs œuvres mettaient en évidence la planéité de la surface picturale et l'absence de distinction entre le thème et le fond. Pour obtenir cet effet, ces artistes développèrent une technique que Helen Frankenthaler commencerait à utiliser en 1952 (consistant à tacher la toile de couleur jusqu'à ce qu'elle absorbe la peinture) dénommée soak-stain. Ce procédé, par lequel on imbibe la toile de coton sans couche d'apprêt avec de la peinture acrylique très diluée, aboutissait à une surface riche et saturée. En utilisant la peinture comme une teinture qui pénètre dans les fibres de la toile au lieu de l'appliquer avec un pinceau sur la couche superficielle, les artistes fusionnèrent forme et fond à travers la couleur.
Au lieu d’utiliser des pinceaux, les artistes projetaient de la peinture sur les toiles, les imbibaient ou les arrosaient — éliminant le coup de pinceau gestuel qui avait été un élément distinctif de l’Expressionnisme Abstrait, comme dans le cas de Jackson Pollock et son caractéristique goutte-à-goutte, ou de Willem de Kooning et son violent coup de pinceau —.
Morris Louis, lors de sa visite au studio de Frankenthaler en 1953, y vit la première peinture réalisée par celle-ci au moyen de sa particulière technique de couleur. Transposant cette méthode à son propre langage, Louis appliqua du pigment dilué sur la toile sans la tendre pour permettre que la peinture coule sur la surface inclinée. Ainsi, ses peintures, formées de bandes de couleur verticales, translucides et entremêlées, sont connues comme Veils (voiles). Au milieu des années quatre-vingt, Jules Olitski commença à utiliser l'aérosol pour appliquer des couches de peinture diluée, créant des champs de couleur ininterrompus, qui semblaient s'étendre au-delà des limites de la toile, une révision de la peinture « sans limites » (all-over) de Pollock. Les toiles à rayures de Gene Davis créent des rythmes aux lignes verticales successives, avec divers tons, intensités et intervalles. Kenneth Nolan utilisa aussi la technique consistant à tacher les toiles sans apprêt mais traita la relation entre la couleur et la forme dans une série d'œuvres axées sur des cercles, des formes de chevron, et éventuellement sur des toiles de différents formats. Nolan fut inclus dans l'exposition de Alloway en 1966, tout comme Larry Poons, dont les tableaux des années soixante montraient des surfaces tachées de couleur, perforées pour leur donner une apparence à la fois ordonnée et aléatoire. Sous le nom de « systemic painting », Alloway regroupait des artistes qui expérimentaient avec ces variations sur un thème de façon délibérée et sériée, et d'autres comme Jack Youngerman, qui travaillait avec plus de liberté mais avec des couleurs limitées. Les toiles aux formes symétriques de Frank Stella entraient aussi dans cette classification. En 1967, Stella introduisait la courbe dans son œuvre avec sa série des Protractor, présentant un nouveau langage de forme et de couleur, et une échelle de plus en plus grande.
Dans sa vocation de collectionner la variété et la complexité des chemins pris par l'abstraction au XXe siècle, le Solomon R. Guggenheim Museum a acquis ces œuvres en même temps que d'autres exemples de peinture de champs de couleur, de peinture systémique, de peinture hard-edge et d'abstraction géométrique au moment de leur création, et les incorpore depuis lors aux plus importantes présentations qu'il consacre aux années soixante et soixante-dix.
Kenneth Noland
Changement de transmission (Trans Shift), 1964
Acrylique sur toile
254 x 288,3 cm
Solomon R. Guggenheim Museum, New York
Acquis avec les fonds apportés par Elaine et Werner Dannheisser et la Dannheisser Foundation, 1981