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Exposition passée

Perceptions en transformation : La Collection Panza du Solomon R. Guggenheim Museum

10.10.2000 - 22.04.2001

Le Musée Guggenheim Bilbao a le plaisir de vous présenter Perceptions en transformation : la Collection Panza du Solomon R. Guggenheim Museum. Cette éblouissante manifestation est bâtie sur les œuvres de l'une des collections d'art les plus prestigieuses des décennies 1960, 1970 et 1980, dont certaines pièces n'ont pas été montrées au public depuis plus de deux lustres. La portée de l'exposition exige des installations échelonnées, ce qui explique que les premier et troisième étages furent ouverts le 9 octobre et les salles restantes le 16 novembre. Perceptions en transformation, qui occupera avec une centaine d'œuvres de vingt-trois artistes de la Collection la totalité de l'espace du Musée, souhaite donner une audience internationale au regard visionnaire des Panza en tant que collectionneurs et aux œuvres novatrices d'une génération d'artistes qui a changé l'orientation de l'art moderne.

Le Dr. Giuseppe Panza di Biumo et sa femme, Giovanna, ont commencé à acheter des œuvres d'art en 1956; aujourd'hui, si nous comptons également les fonds privés du collectionneur, la Collection Panza rassemble plus de 2.500 pièces. Entre 1966 et 1975 les Panza ont ainsi constitué l'une des plus ambitieuses collections d'art minimaliste, conceptuel, post-minimaliste et d'environmental art (art environnemental). Cette exposition, unique en son genre, illustre magnifiquement la relation continue qu'entretiennent la Fondation Solomon R. Guggenheim et les Panza depuis une dizaine d'années. Ainsi, entre 1991 et 1992, le Musée Solomon R. Guggenheim de New York a eu la bonne fortune d'acquérir, par achat et donation, plus de 350 œuvres de cette exceptionnelle collection et les Panza y ont ajouté 335 pièces supplémentaires en qualité de prêt à long terme.


La collection offre un reflet des Panza et de l'époque dans laquelle ils vivent. Par l'intermédiaire de l'art, ils ont trouvé une façon d'exprimer des vérités simples à propos de culture et de l'existence. Le Dr. Panza, incliné à l'étude philosophique, considère que les œuvres qu'il collectionne font partie d'une recherche théorique et spirituelle de plus grande envergure et constituent une facette à part entière d'une recherche personnelle de sens. La peinture et la sculpture abstraites, qui se caractérisent par leurs formes géométriques essentielles et une palette monochrome, ont particulièrement intéressé les Panza. Les premières œuvres qui attirèrent leur attention furent les toiles du peintre espagnol Antoni Tàpies et celles de l'artiste français Jean Fautrier. Ces peintures reflètent la lutte de l'Europe de l'après-guerre contre le poids de l'histoire, ainsi que l'incertitude face à l'avenir. En 1957, Panza découvre le travail du peintre américain Franz Kline dans un article de revue et réagit immédiatement à l'énergie pure qu'il perçoit dans ses toiles. Au cours des années suivantes, il se consacre à l'œuvre d'artistes américains représentatifs de l'expressionnisme abstrait et de l'art pop, qui incarnent l'optimisme et le goût pour l'expérimentation caractéristiques de l'art états-unien. Quant au minimalisme, Panza di Biumo s'y intéresse pour la première fois en 1966, après avoir vu la reproduction d'une pièce de Robert Morris, dont les sculptures simples, réalisées avec des matériaux ordinaires, rejoignent l'esprit contemporain de Panza et son intérêt pour les formes élémentaires et réduites.

La Collection, emblématique d'une époque provocatrice, présente un caractère précurseur dans l'histoire de l'art. Les œuvres exposées ici ont été exécutées par les artistes les plus influents de notre temps: Carl Andre, Larry Bell, Hanne Darboven, Jan Dibbets, Dan Flavin, Hamish Fulton, Jene Highstein, Robert Irwin, Donald Judd, Joseph Kosuth, Sol LeWitt, Richard Long, Brice Marden, Robert Mangold, Robert Morris, Bruce Nauman, Richard Nonas, Robert Ryman, Richard Serra, Joel Shapiro, James Turrell, Lawrence Weiner et Doug Wheeler. En dépassant les distinctions conventionnelles entre peinture et sculpture, art et idée, objet et environnement, cette génération d'artistes a redéfini nos attentes et offre encore un défi à notre façon de percevoir ce qui peut être tenu pour de l'art. A quelques exceptions près, chaque salle du Musée est consacrée à l'un de ces artistes. Parfois, une seule pièce occupe tout un espace mais, dans la plupart des cas, les salles accueillent plusieurs œuvres, dans un reflet de la volonté de Panza de rassembler plusieurs pièces d'un même artiste pour connaître son travail en profondeur. Il ne s'agit pas cependant d'une collection encyclopédique car elle se fonde plutôt sur des études centrées sur une période particulière de l'œuvre d'un artiste. Placé face à un artiste à chaque fois, le visiteur peut mieux saisir les préoccupations qui sont au centre d'une série ou d'abordages variés. De la même façon, la Collection dans son ensemble nous permet de capter les motivations que partagent ces artistes et de voir comment chacun d'eux a répondu à des défis similaires à partir de moyens ou de matériaux différents.

Dans une phrase ingénieuse qui est devenue un axiome du minimalisme, le peintre Frank Stella déclarait en 1966, en se référant à ses œuvres [1]: « Ce qui se voit est ce qui se voit ». La complexité de la déclaration de Stella relative à l'œuvre d'art minimaliste réside dans le fait qu'à l'intérieur des objets apparemment simples auxquels elle s'applique il existe des degrés multiples dans sa compréhension. A la fin des années 60, il s'est produit une reconsidération et une remise en question des attentes traditionnelles des milieux artistiques. Les peintures de Robert Mangold, par exemple, comme 1/3 d'une aire gris verdâtre (1966) brouillent les distinctions entre ces disciplines autrefois bien différenciées que sont la peinture et la sculpture. Alors qu'aussi bien la peinture figurative que la peinture abstraite ont traditionnellement rejeté la nature bidimensionnelle de ce médium en créant l'illusion de profondeur, les peintures de Mangold attirent l'attention sur cette illusion pour mieux la remettre en cause. En utilisant des toiles de formes différentes, l'artiste réfute une lecture du support de la toile en tant que « fenêtre » et se centre sur les qualités sculpturales de la toile tendue en la révélant comme objet. Mangold centre l'attention sur la tendance naturelle du spectateur à voir surtout l'objet placé devant lui. Comme son titre l'indique, 1/3 d'une aire gris verdâtre n'est que la portion d'un cercle entier que nous nous chargeons de compléter dans notre esprit.

Carl Andre et Donald Judd ont également rejeté l'illusionnisme dans la création artistique pour adopter un point de vue plus littéral en situant le sens d'une œuvre dans ses qualités matérielles primaires. La couleur, par exemple, n'est pas simplement appliquée mais constitue une caractéristique inhérente au matériau lui-même, comme dans le cas du cuivre poli de Carré de cuivre Altstadt 10 x 10 (1967) de Andre, ou du plexiglas bleu céleste de Sans titre (1973) de Judd. Ce qui constitue vraiment l'œuvre ne peut être discerné qu'à condition d'aborder celle-ci dans tout son périmètre; il est nécessaire de se déplacer autour de ces sculptures pour les comprendre pleinement. Dépourvue de « face » ou de « dos » perceptibles, une œuvre peut ressembler à un carré vue sous un certain angle et à un rectangle vue sous un autre. Là où auparavant se produisait un acte passif d'observation, le minimalisme a introduit la confrontation et l'interaction. Installées directement sur le sol, sans socles, ces deux sculptures illustrent l'effort du minimalisme pour porter l'art dans l'espace réel du spectateur; ainsi, le rôle de ce dernier acquiert un nouveau sens et la relation entre objet, spectateur et espace environnant s'en trouve renforcée. Les sculptures d'Andre peuvent être appréhendées aussi bien visuellement que viscéralement ; les visiteurs du Musée sont en effet invités à marcher sur elles. Quant à l'œuvre de Judd, elle est également marquée par la conscience de la présence physique propre. Alors que la sculpture traditionnelle préserve un axe vertical qui a souvent pour effet de produire une sensation de monumentalité, le travail de Judd peut être vu sous tous les angles et même de dessus. Ces sculptures ne contiennent aucun référent ou signification occultes et l'accent mis sur l'horizontalité limite toute lecture anthropomorphe.

L'utilisation de matériaux interchangeables d'origine industrielle qui caractérise de nombreuses pièces de la collection Panza est particulièrement perceptible dans l'œuvre de Morris Sans titre (pièce de 5 plaques d'acier) de 1969. Composée de plaques industrielles d'acier tenues par des colliers, cette œuvre est caractéristique de la réaction de sa génération contre les associations romantiques liées à la reconnaissance et à l'évidence de la main de l'artiste ainsi qu'à l'aura de l'œuvre d'art originale. Dan Flavin a également fait le choix des matériaux préfabriqués pour créer ses sculptures lumineuses uniquement à partir d'installations de tubes fluorescents. L'importance du rôle de l'artiste comme artisan commence à être substituée par son ingéniosité conceptuelle. Les artistes conceptuels comme Joseph Kosuth et Lawrence Weiner poursuivent la remise en cause de la valeur de l'objet artistique unique. Leurs premières œuvres mettent l'accent sur l'idée, par delà le résultat physique. Le langage devient aussi bien contenu que matière. L'idée prend le pas sur l'artefact et la manifestation physique d'une œuvre est simplement considérée comme un sous-produit du processus mental de création ou idée. Les œuvres conceptuelles sont généralement éphémères ou peuvent être refaites indéfiniment, de la même façon que les mots peuvent être réutilisés sans cesse. 'Intitulé (L'art comme idée comme idée) [Idée]' (1967), de Kosuth, consiste en une photographie montée sur carton de la définition tirée d'un dictionnaire du mot « idée », présentée dans un format de caractère simple. Cette œuvre, comme d'autres de Kosuth, joue avec la notion d'idée en tant que forme et contenu de l'œuvre d'art. Les mots que nous voyons sont la composante visuelle de la pièce mais ils apportent également de l'information et du sens.

De nombreux artistes représentés dans Perceptions en transformation partagent un même intérêt pour la relation entre l'art et son environnement et pour étendre le champ expérimental de l'œuvre afin que celle-ci incorpore l'espace qui l'entoure. Les artistes perceptuels et environnementaux créent des œuvres qui mettent en cause et élargissent l'expérience esthétique de l'observateur. Leurs pièces centrent l'attention sur des stimuli spatiaux et sensoriels en mettant l'accent sur les effets de lumière et la façon dont ceux-ci jouent avec l'espace environnant. Ce résultat peut être obtenu à l'aide de grandes installations conçues pour un emplacement spécifique, comme celles de James Turrell et Doug Wheeler, ou, à moindre échelle, avec une œuvre comme Disque de couleur gris pâle vert rose violet (1966–67) de Robert Irwin. Le disque d'acier légèrement convexe d'Irwin semble flotter dans l'espace de la salle. Quatre lampes incandescentes créent des ombres sur le disque et sur la cloison dressée derrière, effaçant ainsi la frontière entre objet et environnement, entre matière et lumière. La perception par l'observateur de ce phénomène constitue une composante intégrale de l'œuvre. De la même façon, Couloir de lumière verte (1970), de Bruce Nauman, se centre sur l'observateur, ses réactions et son comportement. En créant un étroit couloir à partir de deux cloisons verticales, Nauman invite l'observateur à interagir avec la sculpture. Au fur et à mesure que l'espace ainsi créé est parcouru, la lumière fluorescente verte produit une sensation de malaise et quant à la longueur inhabituelle du couloir et à son étroitesse, elles renforcent l'impact que l'architecture et les stimuli environnementaux exercent sur les réactions corporelles, physiques et comportementales. L'environment (environnement) de Nauman exige la participation de l'assistance tout en prédisant et en contrôlant les réactions des participants.

En faisant collection d'œuvres aussi audacieuses, les Panza ont été aussi novateurs et avancés dans leur façon de penser que les artistes qu'ils soutenaient, les encourageant alors qu'ils étaient pratiquement inconnus. Sans crainte face à un art complexe qui résiste aux modes traditionnels de chosification et d'exposition, Panza a collectionné de nombreuses d'œuvres avant même leur fabrication, alors qu'elles n'existaient encore que comme idées ou projets sur papier. Beaucoup dépendaient d'un emplacement spécifique pour être imaginées et créées. Au début des années 70, Panza a commandé plusieurs de ces créations d'ambiance pour sa résidence italienne personnelle, la Villa Menafoglio Litta Panza de Varèse, en invitant Flavin, Irwin, Maria Nordman et Turrell à créer des installations permanentes pour cet espace. La villa se trouve actuellement confiée aux bons soins du Fondo per l'Ambiente Italiano (société italienne pour la conservation du patrimoine) et sera ouverte au public en septembre 2000. Une exposition simultanée des œuvres de la Collection Panza du Guggenheim dans la Collection Peggy Guggenheim de Venise examine l'œuvre de sept artistes de la Californie méridionale présents dans la Collection, dont la plupart exposent également ici, à Bilbao. Ce trio d'expositions rend hommage aux Panza, à leur vision et à leur générosité, ainsi qu'à leur contribution à la compréhension et à la valorisation des œuvres de leur collection.

 

Richard Serra
Courroies (Belts), 1966–67
Caoutchouc vulcanisé et tube néon
182,9 x 762 x 50,8 cm
Solomon R. Guggenheim Museum, New York. Collection Panza 91.3863

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