Exposée actuellement (Salle 306)

Neuf discours sur Commode

1963

C'est au milieu des années 1950, alors qu'il travaillait comme cryptographe dans l'armée nord-américaine, que Cy Twombly développa son style caractéristique composé de rayures, griffonnages et lignes frénétiques de type graffiti qui évoquaient, et en même temps, bouleversaient, le style pictural de l'Expressionnisme abstrait dominant à cette époque. Après son installation définitive à Rome en 1957, la liberté gestuelle de l'Expressionnisme abstrait fut finalement compensée par le poids de l'histoire, auquel elle resta rattachée. Une série d'œuvres de la fin des années 1950 et du début des années 1960 représentent la fascination croissante de Twombly pour l'histoire, la mythologie ancienne et la littérature classique italienne.

Entre 1962 et 1963, les peintures de Twombly et ses références historiques prirent un ton beaucoup plus sombre et angoissant, puisque Twombly s'inspira d'une série d'assassinats historiques, un tournant qui reflétait peut-être le pessimisme du début des années 1960, avec la crise des missiles de Cuba et l'assassinat du Président John F. Kennedy. Créé durant l'hiver 1963, le cycle de peintures Neuf discours sur Commode, qui sert de résumé à l'étape angoissante et exceptionnelle de sa carrière artistique, s'inspire de la cruauté, de la folie et de l'assassinat final de l'empereur romain Aurélien Commode (161–192 de notre ère). Le conflit, l'opposition et la tension dominent la composition des peintures. Deux spirales de matière constituent le noyau de chaque pièce, dont l'état d'âme varie, depuis les structures sereines et similaires aux nuages, aux blessures sanglantes du panneau final qui culminent la série en une apothéose exaltée. Malgré l'esthétique intrinsèque de chaos et d'instabilité des peintures, une structure très maîtrisée domine la composition. Le fond gris opère comme espace négatif, compensant les tourbillons sanglants de la peinture et les croûtes d'impasto coagulé. Sur cette toile de fond neutre, la ligne qui parcourt la moitié des peintures sert de marque pour subdiviser la composition. Plusieurs des peintures de la série Commode présentent aussi des séquences numériques qui structurent les quadrillages, graphiques et axes géométriques qui forment le squelette des œuvres.

Cette série fut exposée pour la première fois à la Galerie Leo Castelli de New York en mars 1964, devant un public américain encore esclave du Pop Art et du minimalisme. Les peintures ésotériques et désordonnées de la série Commode de Twombly, qui semblaient complètement hors contexte et surannées, firent l'objet de critiques féroces, qui exprimaient de manière catégorique l'absence de Twombly de la scène artistique new-yorkaise, insinuant son abandon des États-Unis et transmettant le message subliminal clairement chauviniste que ces peintures avaient été importées de la « Vieille Europe ». En outre, l'installation elle-même de ces peintures dans la Galerie, dans un ordre confus, laissant leur trajectoire générale indéchiffrable, alors qu'elles dépendent intrinsèquement de la narration et de la séquence, n'aida pas beaucoup non plus.

Suite à cet accueil ignominieux, les peintures de la série Commode, invendues, furent à nouveau exilées en Italie. La controverse sur les œuvres et les séquelles eurent une énorme répercussion sur la peinture et la trajectoire artistique de Twombly, qui réduisit sa production créative dans les deux années qui suivirent. Cette situation servit peut-être de catalyseur à son changement de tendance postérieur, avec sa série « ardoise ». Il fallut attendre les étés de 1977 et 1978, alors que Twombly se préparait pour une exposition rétrospective au Whitney Museum of American Art, pour la création d'un autre ensemble historique, Cinquante jours à Iliam (Fifty Days at Iliam). Lorsque la rétrospective de Whitney de 1979 fut inaugurée, ce n'était que la deuxième fois que les peintures de Commode étaient exposées.

Il a fallu des années pour que le véritable impact des peintures Commode éclate dans toute son évidence. Actuellement, loin des rivalités et des débats des années 1960, la solidité de l'art pictural de Twombly n'est désormais plus assombrie par ces polémiques. Les peintures Commode, autrefois considérées comme secondaires ou aberrantes par les contemporains de Twombly, occupent clairement aujourd'hui une place centrale et unique dans l'histoire de la peinture d'après-guerre.

Source(s) :
Nicholas Cullinan, « Cy Twombly », Colección del Museo Guggenheim Bilbao, Bilbao, Guggenheim Bilbao Museoa ; Madrid, TF Editores, 2009.

Titre original

Nine discourses on Commodus

Date

1963

Technique / Matériaux

Huile, crayon et crayon de cire sur toile

Crédit

Guggenheim Bilbao Museoa

Dans le musée

Neuf discours sur Commode, Partie I | Cy Twombly | Guggenheim Bilbao Museoa
Neuf discours sur Commode, Partie II | Cy Twombly | Guggenheim Bilbao Museoa
Neuf discours sur Commode, Partie III | Cy Twombly | Guggenheim Bilbao Museoa
Neuf discours sur Commode, Partie IV | Cy Twombly | Guggenheim Bilbao Museoa
Neuf discours sur Commode, Partie V | Cy Twombly | Guggenheim Bilbao Museoa

Perspectives

Neufs discours sur Commode de Cy Twombly

Le chef Andoni Luis Aduriz et la curatrice Maite Borjabad évoquent l’histoire troublante derrière Neuf discours sur Commode (Nine Discourses on Commodus, 1963) de Cy Twombly, un ensemble de peintures marquées par le pessimisme du début des années 1960, avec en arrière-plan la crise des missiles de Cuba et l’assassinat du président John F. Kennedy.