16392 3508

Étude d'un taureau

Francis Bacon
Étude d'un taureau (Study of a Bull), 1991
Huile, peinture en aérosol et poussière sur toile
198 x 147,5 cm
Collection particulière.

“Nous mourons célèbres au lieu de mourir ignorés du monde comme les soldats inconnus. Et nous disons toujours des idioties dans le petit monde de l'art. Peut-être avons-nous en commun [avec Picasso] le fait que surtout nous aimons la vie. Mais Picasso a tout inventé. Après lui, nous ne pouvons plus peindre sans penser à lui”. Francis Bacon, 1992[1]

Francis Bacon (Dublin, 1909–Madrid, 1992) a passé les vingt premières années de sa vie entre l'Angleterre, l'Irlande, Paris et Berlin [2]. À Paris, en 1927, il visite une exposition de Picasso (Malaga, 1881–Mougins, 1973) qui le séduit tellement qu'il décide de se lancer dans la peinture de façon autodidacte. L'impact de Picasso sur sa personne et sur son œuvre est tel que pendant toute sa carrière, presque contemporaine de celle de l'artiste espagnol, et jusqu'à sa mort, sa production picturale emprunte parfois quelques-unes de ses thématiques et de ses styles au peintre originaire de Malaga. Passionné par Picasso, Bacon admirait aussi énormément d'autres maîtres classiques espagnols, comme Zurbaran, Le Gréco, Goya ou Vélasquez, dont il a pu admirer l'œuvre à plusieurs occasions au Prado, mais surtout plus profondément à la rétrospective que le Prado a consacrée à Vélasquez en 1990.

Entre les années cinquante et soixante, Bacon voyage beaucoup en passant de longues périodes à Monaco, dans le sud de la France, en Espagne et en Afrique.[3] C'est à ce moment que commence son obsession pour l'univers de la tauromachie, probablement à l'occasion de ses visites dans le sud de la France et en Espagne, pays où il a eu l'occasion d'assister à des corridas[4].

Son vécu des corridas, combiné avec son admiration pour l'œuvre de Picasso et la littérature de Lorca —en particulier sur la tauromachie—, auraient poussé Bacon à traiter ce sujet à plusieurs reprises[5] De même, les textes de son grand ami, l'écrivain français Michel Leiris (Paris, 1901–Saint-Hilaire, 1990) ont exercé une grande influence sur l'œuvre de Bacon[6]. Miroir de la tauromachie (1938) est le premier ouvrage que Leiris envoie à Bacon sur ce sujet et ce texte va inspirer les premières peintures de Bacon sur la tauromachie, à la fin des années soixante : Étude pour une corrida nº 1 (Study for a bullfight no. 1, 1969) et deux ans plus tard : Deuxième version de l'étude pour une corrida (Second version of study for a bullfight, 1971)[7]; par la suite, Bacon a continué à explorer la thématique taurine qui se retrouve jusque dans sa dernière création, Étude d'un taureau (Study of a Bull, 1991), réalisée un an avant son décès.

Dans les toiles peintes au cours des dernières années de sa carrière, le taureau est devenu l'image de la bête, le symbole de la force animale qu'il sentait s'échapper de lui [8]. Bacon se trouvait déjà très faible quand il a peint sa dernière toile, victime d'une pneumonie exacerbée par l'asthme dont il souffrait depuis son enfance. Dans Étude d'un taureau, l'image de l'animal est ambiguë. Le taureau semble surgir d'un rectangle noir vers la lumière tout en disparaissant dans la forme blanche adjacente. Comme il est habituel dans une corrida, l'animal surgit de l'ombre (le toril) et va vers la lumière, l'arène, où l'attend, vêtu de son habit de lumière, le torero qui va le mettre à mort.

Dans la peinture de Bacon, le taureau semble affaibli et nous ne savons pas trop s'il essaie de s'échapper de l'arène ou d'y entrer. Il se peut que dans cette dernière œuvre Bacon ait essayé d'exprimer qu'il était proche de la mort et qu'il en était conscient [9]. En 1992, à l'encontre des conseils de ses amis et aussi de ses médecins, Bacon se rend à Madrid pour quelques vacances et c'est là qu'il meurt le 28 avril.

Preguntas

Observez attentivement cette peinture. Que voyez-vous ? Comment la décririez-vous ? Dressez une liste des mots qui vous viennent à l’esprit en la contemplant. Étude pour un taureau a été la dernière toile peinte par l’artiste. Comment votre perception de la scène change-t-elle en connaissant cette information ? Quels mots ajouteriez-vous à la liste maintenant que vous savez que c’est le dernier tableau peint par Bacon ? Comparez votre liste avec celle d’un camarade. Quels mots avez-vous écrit tous les deux ? Quels termes sont différents ? Commentez deux par deux votre choix de mots.

La plus grande partie de la toile, de plus de deux mètres de haut, est vide, c’est-à-dire que la toile a été volontairement laissée non peinte. À votre avis, pourquoi Bacon a-t-il laissé ce grand espace vide dans l’œuvre ? Dans cette peinture, en outre, Bacon n’utilise que très peu de couleurs. Pourquoi selon vous l’artiste a-t-il choisi uniquement le noir, le blanc et l’écru pour peindre Étude d’un taureau ? En quoi changerait votre perception de l’image s’il avait utilisé toutes les couleurs de l’arc-en-ciel ?

Sous la figure du taureau, sur la propre toile, Bacon a déposé de la vraie poussière, prélevée dans celle accumulée dans son chaotique atelier de Londres. Pouvez-vous voir où il l’a déposée ? Pourquoi à votre avis un artiste peut-il utiliser ce type de matériau ? Quel est le lien selon vous avec le thème ou le moment de sa vie où il se trouve ? Croyez-vous qu’avec cette poussière Bacon a voulu représenter quelque chose de précis ?

Certains historiens pensent que quand Bacon a peint ce tableau il savait déjà qu’il était proche de la mort[10]. Pourquoi alors a-t-il peut-être choisi ce thème pour sa dernière œuvre ?

Si vous pouviez changer son titre et lui en donner un plus poétique ou métaphorique, lequel lui donneriez-vous ? Pourquoi ?