La trajectoire de l’artiste
« Faire de la sculpture, ça signifie s’engager pour la vie, voilà ce que ça veut dire. Cela signifie suivre la direction de l’œuvre que j’ai moi-même ouverte et essayer d’élaborer à l’intérieur les propositions les plus abstraites. Développer ma propre œuvre et incorporer tout le nécessaire pour qu’elle reste ouverte et vitale » 1.
Introduction
Le Musée Guggenheim Bilbao présente depuis juin 2005, et de façon permanente, l’installation intitulée La Matière du temps du sculpteur Richard Serra (San Francisco, États-Unis, 1938). À la demande du Musée pour la Collection Guggenheim Bilbao, cet artiste a créé sept sculptures monumentales à emplacement spécifique. Installées dans la plus grande salle de l’édifice conçu par Frank Gehry, les sept sculptures viennent se joindre à sa première pièce Serpent (Snake, 1994–97), réalisée pour l’inauguration du Musée, afin de former une installation à emplacement spécifique dont l’échelle et la dimension sont sans précédents dans l’histoire moderne. Les huit œuvres sont conçues pour produire une expérience intégrale qui met aussi en jeu l’énorme espace d’exposition qu’elles occupent.
Les débuts de l’activité artistique de Serra dans les années soixante coïncident avec l’époque du minimalisme, un mouvement dont les intérêts sont très proches de ceux de l’artiste. Ce courant artistique recherche la plus haute expression avec le minimum de moyens, en concédant une grande importance aux propriétés de la matière et au processus de fabrication. Les artistes minimalistes libèrent la sculpture de son rôle symbolique et de sa base ou socle traditionnel, pour que l’œuvre puisse tisser une nouvelle relation avec l’observateur. L’expérience de l’objet devient un élément essentiel. Comme les minimalistes, Serra utilise des matériaux industriels, peu courants alors dans la sculpture, comme la fibre de verre, le caoutchouc, le tube de néon ou l’élastique. Dans son œuvre Courroies (Belts), des courroies en caoutchouc vulcanisé entremêlées et illuminées de tubes de néon recourbés pendent le long d’un mur, suspendues à des crochets. En les suspendant, l’artiste explore la souplesse de ces matières, à l’aspect urbain et industriel, et l’effet sur elles de la gravité. L’énorme intérêt qu’il attache aux propriétés physiques des matières continuera de caractériser toute son œuvre postérieure.
En 1967 et 1968, l’artiste développe toute une série d’infinitifs, comme « disperser », « enrouler », « appuyer », « couper » et « plier », pour décrire bon nombre des processus qu’il utiliserait tout au long de sa carrière, soit avec ses propres mains, soit à travers divers procédés de fabrication industrielle. Il s’agit d’actions matérialisées sous forme de sculptures. Il crée ainsi près de cent œuvres en plomb similaires à Éclaboussure (Splashing), 1969. Pour cette œuvre réalisée dans le dépôt de la galerie de Leo Castelli à New York, l’artiste projeta du plomb fondu sur un mur et sur le sol – formant l’angle tel qu’on le voit– de manière à ce que le métal frappe avant de se solidifier. Serra attache une grande importance au processus de formation et de transformation des matériaux et à leur réaction face à des conditions externes comme la gravité ou la température.
Lorsqu’il se rend compte que ces premières pièces retiennent la traditionnelle relation picturale figure-fond, par rapport au mur ou au sol, il commence à évoluer dans une autre direction en 1969. Dans Étai d’une tonne (Château de cartes) [One-Ton Prop (House Of Cards)], quatre plaques de plomb qui se soutiennent verticalement par leur propre poids s’appuient l’une contre l’autre, comme un château de cartes. Cette œuvre – qui fait partie d’une série intitulée Étais (Props) — révèle son intérêt pour la tension entre les éléments qui forment la sculpture. Dans sa série de étais, l’artiste met en évidence les principes de l’équilibre et de la gravité et leur importance dans la production sculpturale.
Depuis 1970 et jusqu’à aujourd’hui, il a surtout travaillé avec de l’acier, un matériau souvent associé à l’architecture et à l’ingénierie, des disciplines auxquelles l’artiste a souvent recours pour comprendre l’origine de la sculpture. L’introduction de l’acier provoque une augmentation drastique de l’échelle de ses œuvres. Désormais, les pièces ne peuvent plus être considérées comme des objets discrets ; leur signification et leur constitution deviennent indissociables de leur environnement et ne peuvent être expérimentées sans les contourner. La perception du spectateur en est totalement bouleversée ; pour comprendre toute la pièce, il doit l’appréhender à travers le mouvement, en la contournant et en pénétrant à l’intérieur. La plupart des œuvres de Serra sont exposées en plein air, dans des parcs ou des zones urbaines, où le public peut se promener autour et les explorer. En 2005, Serra crée en réponse à une commande du Musée Guggenheim Bilbao sept sculptures monumentales en acier, destinées à être exposées aux côtés de son œuvre Serpent (Snake, 1994–97), et baptise l’ensemble : La Matière du temps.
En dehors de ses sculptures, l’artiste a produit un grand nombre de dessins et de films. À la fin des années 1960, il réalise une série de films – dont Hand Catching Lead (main qui saisit du plomb) et Hands Tied (mains liées) – centrées sur l’exécution de tâches simples, répétées à l’infini, dans lesquelles la caméra se focalise systématiquement sur un seul objet. Les dessins et les films lui permettent d’explorer les même thèmes, mais avec d’autres langages et révèlent son intérêt pour le processus de production et pour des aspects comme le poids, la tension, l’équilibre ou le mouvement. En réalité, Serra considère sa production cinématographique et vidéo comme une ligne de recherche parallèle et indépendante de son œuvre sculpturale.
1 Richard Serra. Richard Serra. Escultura 1985–1999, cat. expo. Musée Guggenheim Bilbao, Bilbao, 27 mars – 17 octobre 1999, page 19.
Preguntas
Pour vous, qu’est-ce qu’une sculpture ? Essayez d’élaborer entre vous une définition. En quoi se différencie une sculpture d’une peinture ? Et d’un espace architectural ? Qu’est-ce que les trois en commun ?
Décrivez une sculpture dont vous vous souvenez ou que vous avez vue récemment. Comparez-la aux œuvres de Serra : quelles différences ou similitudes trouvez-vous ?
Imaginez différents matériaux utilisés dans la vie quotidienne. Commentez où vous pouvez les trouver et pour quoi ils sont utilisés. Pensez-vous qu’un matériau peut être le symbole de quelque chose ? Faites ensemble une liste de matériaux puis, individuellement, associez des adjectifs à chacun d’entre eux. Comparez les résultats. Pourquoi un artiste décide-t-il d’employer un matériau déterminé ?
Discutez entre vous sur la manière dont change la signification d’une œuvre d’art suivant son emplacement : quelle est la différence de perception par rapport à une sculpture placée dans un espace fermée et par rapport à une sculpture en plein air ? Et entre un cadre naturel et un cadre urbain ? Pourquoi Serra a-t-il choisi des emplacements en extérieur pour la plupart de ses sculptures ?