Warhol Shadows

Ombres

Andy Warhol
Ombres
(Shadows), 1978–79.
Acrylique sur toile, 102 peintures sur toile (sans cadre),
193 x 132 x 2,9 cm chacune
Dia Art Foundation
Vue de l’installation au Dia: Beacon, Beacon, New York.
© 2016, The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc./VEGAP.
Photo : Bill Jacobson.

« Je les ai appelées “ombres” parce qu’elles sont basées sur la photo d’une ombre de mon bureau. C’est une sérigraphie sur laquelle j’applique de la peinture avec un balai-éponge. J’ai commencé à travailler dessus il y a quelques années : je travaille sept jours sur sept, mais quand j’avance le plus, c’est pendant le week-end parce que pendant la semaine les gens n’arrêtent pas de venir pour discuter. »—Andy Warhol[1]

Andy Warhol (né Andrew Warhola ; Pittsburgh, 1928–New York, 1987) a débuté sa carrière comme illustrateur commercial pour les magazines après s’être installé à New York en 1949[2]. Warhol, qui est l’un des artistes les plus importants du mouvement appelé Pop Art, a développé sa propre iconographie à partir de certains éléments courants de la vie quotidienne, la publicité et les bandes dessinées. Au début des années 1960, il se met à explorer les possibilités qu’offrent les produits fabriqués en série en créant des œuvres basées sur eux, comme les canettes de soupe Campbell et les bouteilles de Coca-Cola ; par ailleurs il s’empare aussi de l’image d’idoles familières des mass medias comme Marilyn Monroe et Elvis Presley.

Bien qu’il ait peint de sa main quelques-unes de ses œuvres, la plupart sont le résultat d’un processus mécanique appelé sérigraphie. Cette technique sert à transférer des images photographiques sur la toile ou sur un papier de façon répétée, ce qui permet de créer des œuvres d'art en grandes quantités de façon simple et bon marché. La méthode de travail de Warhol est à rapprocher de la production de biens de consommation dans une usine. Son intention était de créer de l’art qui semble produit mécaniquement, comme sur une chaîne de montage. Et de fait, Warhol appelait son atelier « The Factory » (l’usine).

À la fin des années 1970, l’artiste décide d’abandonner le thème des icônes culturelles et des articles de grande consommation pour se lancer dans la représentation abstraite. Et dans le cadre de ce nouvel intérêt pour l’abstraction, il se décide pour le traitement de l’ombre, un sujet qui le fascinait depuis toujours. En 1978, à l’âge de 50 ans, Warhol, aidé de son groupe de collaborateurs de la Factory, s’embarque dans la production d’une œuvre monumentale intitulée Ombres (Shadows)[3], composée de 102 toiles sérigraphiées conçues en principe comme une unique peinture en plusieurs parties.

Pour commencer le processus de sérigraphie, Warhol et son équipe recouvrent la toile de peinture acrylique, qui lui donne ses caractéristiques tons brillants et joyeux. Le fond de chaque toile est peint avec un balai-éponge, dont les traces et les rayures confèrent la « gestualité » au plan pictural[4]. Ensuite, l’image de l’ombre est sérigraphiée sur ce fond, principalement avec de l’encre sérigraphique noire, même s’il a réalisé deux pièces à l’encre argentée[5]. Pour créer cette œuvre, sept ou huit écrans de sérigraphie différents ont été utilisés, comme le prouvent les légers dégradés des zones ombrées, ainsi que la présence arbitraire de taches de lumière[6]. La façon dont sont agencées les ombres varie : si quelques surfaces présentent une finition mate, d’autres sont barrées de gros traits pour lesquels Warhol a clairement choisi de traîner l’éponge[7]. Sauf dans les deux versions argentées, une forme haute et étroite, appelée « the peak » (le pic), réapparaît toujours comme une image de couleur noire en positif sur un fond de couleur. La seconde forme, connue sous le nom de « the cap » (le capuchon), est plus petite et apparaît toujours comme une image en négatif sur un fond noir : une ombre « absente »[8].

L’origine exacte de ces images énigmatiques a fait longtemps l’objet de débats. Malgré la description lapidaire sur sa genèse qu’en a effectuée le propre artiste, de la « photo d’une ombre de mon atelier », diverses versions alternatives et contradictoires ont été données pour expliquer sa provenance. Une des plus convaincantes est celle apportée par l’assistant de Warhol à l’époque, Ronnie Cutrone (New York, 1948–New York, 2013), auquel Warhol avait demandé de photographier les ombres de maquettes expressément conçues pour créer des formes abstraites[9]. Cutrone a décrit le processus exhaustif d’édition des images qu’il devait suivre, en agrandissant d’abord les images sur des écrans de même taille que la toile, qui sérait étendue ensuite sur le sol pour la peindre, afin de pouvoir déterminer quelles images allaient fonctionner à cette échelle agrandie[10].

Les Ombres ont été présentées pour première fois en 1979, dans une galerie commerciale du Soho new-yorkais. À cette occasion, seules furent accrochées 83 des 102 toiles. La plupart pouvaient être vues à la galerie même, mais quelques-unes étaient exposées dans les bureaux[11]. Le nombre définitif de toiles exposées en 1979 a été en fait déterminé par les dimensions de l’espace d’accrochage. Les peintures, dépourvues de cadre, furent disposées les unes après les autres, sans séparation à peine et à seulement 30 cm du sol, dans l’ordre que choisirent les assistants de Warhol. Ombres était une commande de la Lone Star Foundation (aujourd’hui la Dia Art Foundation). La commande elle-même portait sur une série de 100 peintures, mais Warhol décida d’en ajouter huit autres de son propre chef. Finalement, l’acquisition de la Lone Star a comporté 102 peintures[12].

1. Warhol, Andy, «Painter Hangs Own Painting», New York Magazine, 5 février 1979, pp. 9–10.
2. Pour une biographie plus complète, voir le site https://www.guggenheim-bilbao.eus/exposiciones/andy-warhol-a-factory/
3. http://warhol.guggenheim-bilbao.eus/fr/exposition
4. Ibid.
5. http://www.smithsonianmag.com/smithsonian-institution/a-fresh-look-at-andy-warhol-93034750/
6. http://warhol.guggenheim-bilbao.eus/
7. http://www.smithsonianmag.com/arts-culture/bringing-andy-warhols-shadows-to-the-hirshhorn-88416488/?device=ipad&no-ist=&page=1
8. http://www.diaart.org/exhibitions/introduction/98
9. Ibid.
10. http://www.christies.com/lotfinder/paintings/andy-warhol-shadow-painting-5074069-details.aspx#tabWindow3
11. http://www.smithsonianmag.com/smithsonian-institution/a-fresh-look-at-andy-warhol-93034750/
12. http://www.diaart.org/exhibitions/introduction/98

Preguntas

Œuvre : Ombres (Shadows) (1978–79)

Contemplez l’œuvre un moment. Que voyez-vous ? Décrivez votre première réaction et essayez d’expliquer pourquoi, à votre avis, cette œuvre suscite cette réponse.

Julian Schnabel (New York, 1951) a dit de la peinture de Warhol : « Il n’y a presque rien dedans, mais elles semblent être la représentation de quelque chose. »[13]. Êtes-vous d’accord ou non avec cette affirmation ? Expliquez-vous.

Ombres est une œuvre unique composée de 102 toiles : conçue comme une unique peinture en plusieurs parties, elle exige un espace long de plus de 137 mètres pour pouvoir accrocher toutes les toiles les unes après les autres[14]. Comment l’envergure de l’œuvre affecte-t-elle la façon dont vous la percevez et entrez en interaction avec elle ? Pour la première exposition, seules 83 toiles furent installées. Comment une échelle plus réduite affecterait-elle l’impact de l’œuvre ? Pensez-vous que votre perception serait différente si vous n’aviez à voir qu’un seul panneau ?

Ombres a été créée à la Factory de Warhol. Dans nombre de cas, il est difficile de déterminer jusqu’à quel point il s’impliquait réellement dans la production de ses peintures, puisque ses assistants travaillaient aussi dessus. De fait, l’objectif  même de la Factory était que ce ne soit pas une seule personne qui produise l’œuvre. Comment le fait de savoir ceci affecte-t-il votre perception de ces toiles ? Vous semble-t-il important de savoir si c’est Warhol ou si ce sont ses assistants qui les ont peintes ? Que pensez-vous de la démarche collaborative de Warhol ? Quelles questions soulève-telle autour de la notion d’originalité ?

13. Schnabel, Julian, prologue à Andy Warhol: Shadow Paintings, Gagosian Gallery, New York, 1989, p. 4.
14. Les élèves peuvent mesurer leur salle de classe pour se faire une idée de la taille de l’œuvre.