PH-950, 1950
Clyfford Still
PH-950, 1950
Huile sur toile
233,7 x 177,8 cm
Clyfford Still Museum, Denver
Courtoisie du Clyfford Still Museum, Denver, Colorado.
© City and County of Denver, VEGAP, Bilbao, 2016
« Les œuvres ne doivent pas avoir de titre. Je ne veux pas d’allusions qui perturbent ou aident le spectateur. » Clyfford Still, 1949[1]
Clyfford Still (Grandin, Dakota du Nord, États-Unis, 1904−Baltimore, Maryland, États-Unis, 1980) est l’un des membres de la première génération de l’expressionnisme abstrait, un mouvement surgi aux États-Unis dans les années cinquante, après la Seconde Guerre mondiale. Cherchant une nouvelle approche, comme d’autres peintres, Still, commence à utiliser ce style particulier en rejetant les méthodes traditionnelles, comme la peinture de chevalet ou l’application de peinture avec un pinceau [2]. Ces artistes s’éloignent de la figuration, autrement dit de la représentation du monde tel que nous le voyons, pour proposer un nouvel abordage de la réalité à partir d’un langage visuel basé sur les formes, les couleurs et les lignes. Leur peinture est expressive et donne lieu à des compositions généralement dépourvues de structure et asystématiques.
Les critiques de l’époque ont rangé les expressionnistes abstraits en deux catégories : les peintres gestuels et les peintres des champs de couleur. La première d’entre elles englobe les peintres dans le travail desquels prime le geste physique de peindre, tandis que dans la seconde sont regroupés ceux qui s’inclinent vers l’application de couleur par grands aplats. Clyfford Still, toutefois, est parvenu à un parfait équilibre entre les deux tendances. En réalité, chaque artiste associé à l’expressionnisme abstrait avait son style personnel et son propre langage.
À partir de 1947, Still commence à travailler exclusivement le grand format et à couvrir ses toiles de couleurs grossièrement appliquées à la spatule. L’absence de figures laisse place à de grandes zones chromatiques qui donnent une impression de surface ininterrompue. De plus, l’artiste a recours à des tons inquiétants pour concevoir avec eux des œuvres extraordinaires. À la différence de la plupart des plasticiens de l’époque, Still broie et prépare ses propres pigments, avec lesquels il crée des couleurs particulières qu’il applique à d’immenses toiles[3].
Dans PH-950 (1950), Still applique la peinture sur la toile de façon expressive avec une spatule, produisant ainsi de grandes extensions chromatiques où se superposent plusieurs couches de couleur. Sur la toile, l’épaisse couche de matière donne l’impression qu’une couche de couleur a été « arrachée » de la peinture, révélant ainsi les tons sous-jacents. La luminosité du jaune orangé est obtenue par l’application soignée au pinceau de tonalités intenses. En outre, comme la densité de la matière est irrégulière sur toute la surface, la peinture dégage un effet singulier d’étincelles [4]. Les habituelles figures reconnaissables ont été écartées et remplacées par des formes qui évoquent des flammes s’élevant verticalement au travers de champs de couleur en expansion[5]. Refusant la symétrie et l’équilibre, Still crée une composition originale et porte la peinture à l’huile au-delà des limites de la toile, comme dans une vision panoramique illimitée de couleur et de formes abstraites[6]. Le jaune et le noir s’affrontent sur un espace vertical. La luminosité s’élève jusqu’à s’abîmer dans l’ombre qui noie le haut de la toile. Et dans la zone où se produit la collision, le blanc se détache du fond, comme une sorte d’écume. Enfin, au centre et en haut ce blanc réapparaît pour diriger le regard vers le bord du tableau.
Dans la plupart de ses peintures Still évite les titres afin de ne donner aucune information sur l’œuvre. Les numéros et les lettres qui accompagnent ce tableau, PH-950, correspondent en réalité à la numérotation des photographies des œuvres prises par sa fille.
Quelque chose dans cette immense toile pourrait rappeler l’un de ces paysages qui ont entouré l’artiste pendant sa jeunesse [7]. En effet, sa famille cultivait alors la terre dans les inhospitalières prairies de l’Alberta, au Canada, et a dû affronter la crise de l’économie agraire qui a accompagné la Grande Dépression. En dépit du rapprochement qui peut se faire avec un paysage, l’ambition de Still était que son travail suscite chez le spectateur un certain état émotionnel et spirituel, et non pas d’évoquer un lieu particulier. Selon ses propres termes, ses œuvres ne sont pas des « peintures au sens traditionnel du terme, mais la vie et la mort qui se fondent dans une union terrible. »[8]. L’artiste travaille avec la capacité expressive des couleurs, avec leur aspect lumineux et brillant ou alors éteint et sombre. Il confronte les couleurs dans l’évocation d’un conflit entre le bien et le mal, la vie et la mort.
Preguntas
Observez attentivement l’œuvre de Clyfford Still en prenant le temps d’en examiner tous les détails. Que percevez-vous ? Pouvez-vous y distinguer une forme ? Comment selon vous a-t-elle été peinte ? Décrivez les matériaux qu’à votre avis il a pu utiliser.
En dépit du fait que Still niait tout type d’association directe de ses œuvres avec des paysages, certains critiques ont rapproché ses peintures du panorama des vastes plaines américaines. Si cette œuvre était un paysage, où se trouverait-il ? Comment le décririez-vous en vous basant sur la forme et le couleur de la peinture ? Vous rappelle-t-elle un endroit particulier où vous êtes allé ? En quoi ?
Décrivez les couleurs que vous voyez dans cette œuvre. Still défendait l’idée que la peinture abstraite peut représenter un état psychique, interne, refusant ainsi toute assimilation de ses tableaux à des paysages. Il a ainsi déclaré : « Je ne fais que me peindre moi-même, et non pas la nature. »[9]. Si vous deviez décrire l’état d’esprit qui imprègne cette peinture, quel serait-il ? Quel sentiment ou sensation transmet à votre avis cette toile ?
Outre qu’il n’aimait pas les associations, Still dédaignait les titres et rejetait ceux qu’il avait donnés à ses premières toiles, car il considérait qu’ils avaient trop d’influence sur le ressenti de l’observateur devant l’œuvre [10]. Que pensez-vous de cette idée ? Croyez-vous qu’un titre peut influencer la façon dont nous percevons une peinture ? Pensez-vous que c’est la même chose avec un livre ou un film ? Si vous pouviez donner un titre à cette toile, comment l’appelleriez-vous ?
Une des caractéristiques de la production de Still est le grand format de ses toiles. L’artiste crée des peintures monumentales avec l’ambition d’envelopper le spectateur. De quelle façon à votre avis la taille peut-elle modifier votre perception d’une œuvre ? Préférez-vous contempler une œuvre de grande ou de petite taille ? Pourquoi ? Comment vous sentez-vous devant les pièces de grand format ? Si cette toile avait la taille d’une feuille de papier, comment votre perception changerait-elle ?