Sans titre, issu de la série Australidelphia
2020Profondément engagée dans son propre langage plastique et sans se laisser influencer par les modes esthétiques changeantes, Martha Jungwirth s'impose comme une voix singulière dans la peinture contemporaine. Apparue sur la scène culturelle viennoise après la Seconde Guerre mondiale, elle dépasse toute catégorisation en mêlant l'intensité émotionnelle de l'Expressionnisme abstrait à une approche intuitive de la matérialité. Tout au long de sa carrière, elle est restée fidèle à l’acte même de peindre, privilégiant le processus, l’immédiateté et la capacité à transformer le vécu en forme pure.
Martha Jungwirth travaille souvent par séries, où elle décline certaines thématiques en variations subtiles, affinées au fil du temps. Parmi elles, Australidelphia (2020) se démarque comme une réflexion saisissante sur la crise environnementale. S’inspirant des incendies dévastateurs qui ont ravagé l’Australie en 2019–2020, cette série exprime à la fois la destruction et la résilience, à travers une abstraction qui évoque la perte et le traumatisme. Son titre renvoie au superordre qui comprend les marsupiaux australiens, considérés comme des 'fossiles vivants' tant leur évolution est restée figée depuis des millénaires. Mais loin de les aborder comme s'il s'agissait de vestiges statiques du passé, Jungwirth les représente comme des êtres vulnérables, confrontés à un présent marqué par le changement climatique provoqué par l’homme.
Dans Australidelphia, Jungwirth retranscrit l’image des marsupiaux à travers des éclats gestuels de rouge, de violet, de rose et de noir, où les flux de pigments suggèrent à la fois mouvement et dissolution. Plutôt que de représenter ces animaux de manière figurative, l’artiste en capte l’essence par des coups de pinceau expressifs, évoquant leur existence menacée. L’interaction entre la matérialité de la peinture et la force évocatrice de la couleur confère à l’œuvre une intensité saisissante. Taches, traits et couches de pigments fluides montrent la violence subie par ces espèces, dans des compositions où présence et absence se mêlent, reflétant ces vies perdues ou irréversiblement bouleversées.
L'abstraction de Jungwirth ne se nourrit pas de formes et de couleurs issues du monde visible, mais se situe plutôt entre l'image et le geste, transformant l'acte de peindre en un moyen d'interroger l'histoire et les crises contemporaines. Face à la catastrophe environnementale, Australidelphia surgit de manière profondément intime et viscérale. La peinture devient alors un cri, un témoignage de la fragile interconnexion de toutes les vies.
Titre original
Australidelphia
Date
2020
Technique / Matériaux
Huile sur papier
Crédit
Guggenheim Bilbao Museoa