DEPUIS LES ANNÉES 1970 JUSQU’À AUJOURD’HUI : JENNY HOLZER EN CONTEXTE

Jenny Holzer choisit les mots avec un soin extrême. Quand elle arriva à New York à la fin des années soixante-dix, le pays vivait un moment révolutionnaire du point de vue culturel et politique. Le féminisme, les inégalités raciales, la pauvreté, la guerre du Vietnam ou l’épidémie du sida figuraient parmi les thèmes à l’ordre du jour. La contribution initiale de Holzer aux débats qui se produisaient autour d’elle prit la forme de Truisms (1977–79) – des centaines d’affirmations brèves, souvent contradictoires, sur des sujets sociaux, économiques, personnels et politiques –. Présentées sur des affiches anonymes placardées dans les rues de la ville, ces phrases cherchaient à inviter les passants à s’arrêter et à réfléchir sur la complexité de certaines vérités socialement acceptées.

« Le texte…peut être utilisé de manière abusive ou peut être véridique. Cela dépend de qui fait quoi et pourquoi »

En 1979 et 1980, Holzer participa en tant que membre du collectif artistique Collaborative Projects, aux expositions radicales Manifesto Show – qu’elle organisa avec l’artiste de cinéma expérimental Colen Fitzgibbon – et Times Square Show. Ces expositions, autogérées et de caractère démocratique, défiaient les expectatives existant autour de ce qu’on attendait de l’art, pour qui il est créé, où il est installé et ce qu’il peut apporter à la société. À l’instar d’autres artistes conceptuels, Holzer a défié les limites de l’art. L’écriture est son médium et le public, son audience. En écrivant ses textes sur des objets quotidiens, tels que t-shirts, collants, tasses, assiettes, préservatifs ou cartes postales – dont certains sont inclus dans cet espace didactique —, Holzer extrapole la surprise, la provocation et la critique au domaine public.

« J’aime exposer des contenus partout où les gens regardent ; cela peut être au fond d’une tasse, sur un chapeau, à la surface d’un fleuve ou sur la façade d’un immeuble »

Depuis les années 1980, Holzer a employé les dernières technologies pour transformer le langage au moyen de la lumière, de la couleur et du mouvement. Les installations avec des LEDs – parmi lesquelles se trouve son œuvre de 1997 Installation pour Bilbao, située dans la salle 101 du Musée – transportèrent ses mots de la rue à l’espace d’exposition. Ses projections lumineuses sur des immeubles et sites de référence, comme le fleuve Arno à Florence (1996), la pyramide du Louvre à Paris (2001) et l’Hôtel de Ville de Londres (2006), transportèrent à nouveau le texte à l’extérieur, le situant dans la sphère urbaine. Sur l’écran qui se trouve dans cet espace, le visiteur peut contempler certains de ces projets. L’exposition actuelle du Musée Guggenheim Bilbao comprend de nouvelles projections créées pour la façade du musée, qui pourront être vues la nuit à partir du jour de l’inauguration jusqu’à la fin mars. Holzer conçoit les enseignes électroniques et les projections lumineuses comme des moyens de donner vie aux espaces à travers le pouvoir du langage.

« Quand l’art ou l’écriture fonctionnent, ils proposent des idées et permettent qu’elles soient ressenties, et ces ressentis peuvent être les fondements qui poussent à agir avec honnêteté »

Tout au long de sa carrière, l’œuvre de Holzer a catalysé le dialogue autour de questions d’actualité – conflits politiques, guerre, justice sociale ou égalité des sexes –. Sa perspective féministe continue d’inspirer aujourd’hui la lutte pour les droits de l’homme et ses truismes originaux exercent une nouvelle influence sur les nouvelles générations d’activistes et d’adeptes. Aujourd’hui, comme toujours, l’art de Holzer invite le public à s’impliquer et ouvre un espace pour le débat.

« Lisez les journaux. Faites attention à ce qui vous entoure. Assurez-vous que cela a un impact sur vous »

I WOKE UP NAKED, 2019
Panneau à LED avec diodes bleues, verts et rouges
358,1 x 14 x 14 cm
Texte : témoignages recueillis par Human Rights Watch (HRW), © 1992–2017 by HRW. Reproduits avec la permission de HRW. Les noms sont fictifs afin de préserver l’anonymat des personnes.
© 2019 Jenny Holzer, membre de la Artists Rights Society (ARS), NY
Vidéo : Killstress Designs

I WOKE UP NAKED, 2019
Panneau à LED avec diodes bleues, verts et rouges
358,1 x 14 x 14 cm
Texte : témoignages recueillis par Human Rights Watch (HRW), © 1992–2017 by HRW. Reproduits avec la permission de HRW. Les noms sont fictifs afin de préserver l’anonymat des personnes.
© 2019 Jenny Holzer, membre de la Artists Rights Society (ARS), NY
Vidéo : Killstress Designs

Holzer Duet...Truisms, 1985
Performance danse, (Larry Goldhuber, Bill T. Jones)
Texte : Truisms, 1977–79
Joyce Theatre, New York, 1985
© 1985 Jenny Holzer, membre de la Artists Rights Society (ARS),

À continuation une brève citation de l’éminent chorégraphe Bill T. Jones, qui a conçu cette pièce de danse basée sur les textes de Truisms de Holzer :

« Je me souviens que lorsque Jenny est venue voir les répétitions (je crois que ce fut la seule fois qu’elle a vit la pièce de danse) son seul commentaire a porté sur le fait qu’elle aurait aimé voir davantage de conflit. Cependant j’avais conçu la pièce pour souligner les différences entre le physique de Larry et le mien. Il porte une chemise et un pantalon, j’ai l’air d’un danseur/athlète ; il est plutôt gros et moi mince ; il est blanc, je suis noir… ces contrastes étaient censés suggérer un chiasme antithétique contesté par notre coopération, par la manière dont nous nous saisissons et touchons. Les truisms de Jenny sont un contrepoint ironique et “complice” à ce rituel axé sur nos corps ». Bill T. Jones